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Union Nationale de la Facture Instrumentale

LUTHS

Inventions hispano-arabes

La Bible mentionne déjà des instruments à cordes pincées et l’on connaît le goût des Grecs antiques pour la lyre ou le psaltérion. Mais c’est par le biais des invasions arabes et leur rencontre avec le sol européen que s’est déployée, dès le haut Moyen-Âge, une incroyable diversité d’instruments puisant tous plus ou moins à des racines communes. La péninsule ibérique tient donc une place prépondérante dans l’histoire de ces instruments.

Citole, guiterne, luth, théorbe, mandore, mandoline, guitare, vihuela, cistre, les filiations sont souvent difficiles à établir, mais tous ces instruments sont basés sur un principe acoustique commun : le musicien pince une ou plusieurs cordes tendues au-dessus d’une caisse de résonance. Les différentes cordes sont accordées en quartes et en tierces.

Encore joués à la Renaissance et à l’époque baroque, ces instruments connurent des destins variables, avec parfois de véritables périodes d’engouement pour l’un ou l’autre, comme la guitare dans la France de Louis XIV (sa femme, Marie-Thérèse d’Autriche, était fille du roi d’Espagne). À la même époque, la Hollande se passionnait pour le cistre, petit instrument plus facile à jouer, avec ses cordes métalliques moins capricieuses que le boyau.

Bernardo Strozzi. Le joueur de luth Cesar van Everdingen – Joueuse de cistre

 

Le luth: polyphonie et conquête des graves

 

Le cordage du luth Le luth descend directement du oud, instrument d’origine à la fois perse et arabe, dont il se distingue aujourd’hui par différents aspects. Le oud est en effet un instrument essentiellement monodique, du fait de l’absence de frettes et de l’utilisation d’un plectre : le musicien ne joue en principe qu’une ligne musicale (une corde) à la fois.
S’adaptant aux traditions européennes, le oud va devenir le luth en se dotant de frettes qui permettent le jeu en accords, ainsi qu’en abandonnant le plectre pour libérer les cinq doigts de la main droite. Il devient alors un instrument polyphonique, capable de jeu harmonique, et on élabore pour lui un système de notation spécial appelé tablature, qui sera utilisé également pour ses cousins comme la guitare. Parallèlement, le XVIe siècle invente toute une déclinaison de tailles, du petit luth soprano au grand luth basse accordé en Ré (au lieu de Sol).

 

notation en tablature

Progressivement, tout en conservant ses six chœurs de base, le luth s’enrichit d’un septième plus grave, puis d’un huitième, jusqu’à onze chœurs à la fin de la Renaissance.

L’accord de base d’un luth Renaissance à 6 chœurs est Sol-Do-Fa-La-Ré-Sol (en partant des graves). Le septième chœur est le plus souvent un Fa (juste au-dessous du Sol grave). Sur un huit chœurs, on accorde le chœur le plus grave en Ré ou en Mi. Au-delà, comme la largeur du manche ne permet plus aux doigts de la main gauche d’atteindre les cordes les plus graves, celles-ci sont jouées uniquement « à vide » et accordées en gamme diatonique (toutes les notes successives de la gamme).

Le chevallet du luth

 Chevalet d’un luth à 10 chœurs. De gauche à droite : Do-Ré-Mi-Fa-Sol-Do-Fa-La-Ré-Sol.

 

C’est ce même système d’accord qui équipe les théorbes et les archiluths, apparus vers 1580, avec leurs longues cordes graves appelées « bourdons » ou « grand jeu ». Simplement jouées à vide, elles servent essentiellement à l’harmonie et à la basse continue. La corde la plus grave d’un théorbe (jusqu’à 180 cm de long !) joue aussi bas que celle d’une contrebasse.

 

Un archiluth

 Archiluth d’après un modèle de 1640 env. Longueur totale 158 cm.

 

Pendant tout ce temps, des évolutions notables sont apparues également au niveau du barrage, cet ensemble de petites lattes de bois collées à l’intérieur de la table pour la renforcer et soutenir le son. Leur influence sur la sonorité de l’instrument est essentielle et les facteurs ont sans cesse cherché à en perfectionner le nombre, les dimensions et la disposition pour améliorer la puissance, la résonance ou la capacité de modulation de l’instrument.

barrage du luth

Barrage interne de l’archiluth ci-dessus.

 

Le XVIIIe siècle, notamment en Allemagne, produira ensuite des instruments à treize chœurs plus grands que les luths Renaissance et utilisant un système d’accord modifié. Ces luths dits « baroques » seront le dernier maillon dans l’évolution du luth, lequel tombera ensuite en désuétude jusqu’à son renouveau pendant la deuxième moitié du XXe siècle. 

 

 

Les cordes en boyau

cordes en boyau

Fabriquées en boyau de mouton ou de bœuf (jamais de chat !), les cordes ont joué un rôle prépondérant dans l’évolution des instruments. Cela est particulièrement vrai pour les instruments à cordes pincées où, très souvent, ce n’était pas la corde qui s’adaptait à l’instrument, mais celui-ci qui était construit suivant les caractéristiques des cordes disponibles.
Le facteur limitant est la résistance à la rupture du boyau, en particulier de la corde la plus aiguë (la « chanterelle »). L’idée consiste à choisir la corde la plus tendue possible, en prenant une marge d’environ un demi-ton afin d’obtenir un rendement maximal. Du fait des caractéristiques intrinsèques du boyau, un luth en Sol ne peut donc avoir une longueur de corde supérieure à 64 cm environ et la longueur optimale se situe plutôt aux alentours de 60 cm.
Les cordes graves posent un problème différent : produire des basses nécessite une grande longueur ou une masse élevée, il faut donc des cordes plus grosses. Or, à partir d’un certain diamètre, la corde perd sa souplesse et n’est plus en mesure de produire des harmoniques. La sonorité s’appauvrit autour de la seule fondamentale. La première solution a consisté à doubler chaque corde grave par une autre plus fine, accordée à l’octave supérieure et chargée de produire les harmoniques. Ainsi sont nés les « chœurs doubles ».
Poursuivant leurs recherches, les artisans ont ensuite imaginé d’alourdir les cordes par un traitement avec des sels de métaux : la masse augmentait, mais pas le diamètre, donc la souplesse était préservée et on retrouvait de la richesse harmonique ! Enfin, vers 1660-1680 sont apparues les cordes filées de métal, avec un mince ruban de cuivre ou d’argent enroulé autour d’une âme en boyau.

 

La facture du luth aujourd’hui

Les luths étant des instruments fragiles, rares sont les spécimens anciens encore conservés en dehors des musées. La quasi-totalité des musiciens jouent donc sur des instruments de facture récente. Les répertoires abordés couvrent une période qui va de la Renaissance précoce à la fin du Baroque, soit quelque 250 ans, sans parler des instruments qui relèvent plutôt de la période médiévale. Comme le luth n’a pas cessé d’évoluer sur toute cette période, l’artisan d’aujourd’hui doit savoir proposer des instruments correspondant à plusieurs époques et plusieurs esthétiques musicales différentes.

Un travail d’analyse et de conception s’avère donc nécessaire avant la construction proprement dite. Les sources résident dans l’examen des rares instruments conservés, en analysant à chaque fois les dimensions, la forme de la caisse et sa profondeur, le mode de barrage, etc. De nombreuses publications et plans sont également disponibles auprès des institutions conservatrices. Mais le luthier peut aussi puiser son inspiration dans l’iconographie existante (peintures d’époque).

Les principaux modèles proviennent de l’espace germanique et d’Italie pour les luths Renaissance (jusque vers 1600), d’Italie pour les théorbes et archiluths (XVIIe siècle), d’Allemagne presque exclusivement pour les luths baroques (XVIIIe siècle).

construction d'un luth en érable ondé Construction d’un luth en érable ondé.

 

Quelques informations pratiques :

 

Les luths peuvent être fabriqués dans de nombreuses essences de bois, y compris des bois locaux, fruitiers, etc. Le corps ou « bol » de forme bombée est composé de lames ou « côtes » de nombre variable, généralement de 9 à 15, mais jusqu’à une trentaine sur les plus gros instruments. Réalisées en bois cintré à chaud, elles ont une épaisseur de l’ordre de 1 à 1,5mm, selon la taille de l’instrument et la nature du bois. Le bois européen le plus recherché est l’if.

Seule la table (partie plate formant le devant de l’instrument) est toujours fabriquée en épicéa des Alpes ou du Jura. Une « rosace » y est découpée dans la masse avec une lame très fine. Elle remplit en premier lieu une fonction acoustique d’ouïe, mais également une fonction décorative. Souvent, son motif géométrique puise directement dans l’art islamique.

Les plus gros instruments d’accompagnement comme le théorbe sont plus souvent fabriqués dans des bois exotiques comme le palissandre. Historiquement, on connaît des luths anciens entièrement fabriqués en ivoire, pratique évidemment impensable aujourd’hui.

De très nombreux musiciens utilisent des cordes synthétiques (dérivés du nylon, notamment), moins contraignantes que le boyau. Malheureusement, pour les graves, beaucoup utilisent des cordes filées de métal, qui ne sont absolument pas conformes aux pratiques antérieurement à 1660-1680 environ. Le souci d’historicité se heurte parfois à des considérations pratiques et au confort de jeu !

Les frettes disposées le long du manche sont constituées d’une corde en boyau nouée, de manière à rester mobiles. Selon les époques et les répertoires, les écarts entre les notes de la gamme n’étaient pas toujours réguliers et, surtout, n’étaient pas les mêmes que dans le « tempérament égal » de nos pianos modernes !

L'intérieur d'un luth Intérieur d’un luth en noyer et érable, avec rosace en cours de découpe